Le PDG de la SNCF va-t-il formaliser son adhésion à NOSTERPACA ?
Nous reproduisons ci-dessous les propos tenus par Monsieur Guillaume PEPY dans un entretien qu'il a accordé au quotidien "Le Monde". Nous recommandons aux plus sensibles de nos lecteurs de s'installer dans un fauteuil et de se munir d'un verre d'eau avant de prendre connaissance de ce texte. Restons calmes .... et déterminés pour que les constats ci-dessous exprimés mènent aux changements indispensables dans l'organisation ferroviaire de notre pays.
Les voyageurs se plaignent de la dégradation de la régularité des trains ? Quelle en sont les explications ?
Le réseau ferroviaire s’est dégradé et n’est plus aujourd’hui en situation de supporter correctement le développement du trafic. RFF [Réseau ferré de France, propriétaire et gestionnaire des infrastructures] engage des travaux – et c’est tant mieux ! – mais, dans l’immédiat, ils allongent les parcours ou génèrent des retards. Se pose également le problème des actes de malveillance, des vols de câbles, des suicides qui perturbent lourdement l’exploitation. Nous avons aussi notre propre responsabilité pour rendre plus souple le fonctionnement de l’entreprise et accélérer le renouvellement des trains. Nos voyageurs sont devenus plus exigeants et se comportent de plus en plus comme des consommateurs : c’est un bien.
Les choses ont totalement changé ! Je suis frappé par le fait qu’il y a encore quelques années, les mots d’ordre étaient « fermez les petites lignes » ou « enlevez les rails des centres-villes ». Le débat sur les grandes pénétrantes autoroutières dans les villes était encore vivace. Avec les crises énergétique et financière, le train retrouve toute sa place, mais les décisions n’ont pas toujours suivi à temps. Personne, y compris à la SNCF, n’avait anticipé un tel retour en grâce du train.
Que pensez-vous de la structure actuelle du système ferroviaire français issue de la dissociation en 1997 entre le gestionnaire de l’infrastructure et le transporteur, afin de faciliter la concurrence dans le rail ?
A mes yeux, nous allons vers une impasse financière. Notre système RFF-SNCF n’a pas d’avenir. Ce modèle n’optimise pas la dépense collective. J’ai tiré le signal d’alarme.
Il conduit chaque acteur à agir de manière égoïste. RFF cherche des ressources en augmentant les péages de la grande vitesse. Aux bornes de RFF, c’est cohérent mais aux bornes du système, c’est absurde car cela veut dire que le réseau grande vitesse, sans cesse étendu, serait proportionnellement de moins en moins utilisé. Les voyageurs se détourneraient alors du train pour revenir à la voiture. C’est une vision malthusienne.
A son tour, si la SNCF devait consacrer une part excessive de ses moyens aux péages, elle serait conduite à réduire les dessertes et ne commanderait plus de nouveaux TGV. Aux bornes de la SNCF, c’est rationnel. Aux bornes du système, cela affaiblirait dramatiquement l’industrie ferroviaire. A raisonner ainsi, chacun pour soi, le chemin de fer français va dans le mur.
Le moment est venu de faire un vrai bilan de la réforme de 1997 qui mérite des ajustements. La commission européenne, qui a poussé à cette dissociation au niveau de l’Union, le constate aussi. Si la France a le courage de regarder les choses en face, on va peut-être pouvoir inventer le futur de façon cohérente, en accord avec l’Europe. Comment finance-t-on l’ambition ferroviaire du pays ? Ce sont vraiment des questions de choix politique qui sont posées.
Que vous répondent justement les responsables politiques ?
Ils sont aujourd’hui réceptifs à ce message. Ils disent : « Oui, on en est conscient. » Mais ils n’ont pas encore trouvé la solution. Travaillons ensemble !
Quel serait le bon modèle, selon vous ?
Les Français sont allés très loin dans la séparation de l’infrastructure et du transport. Le duo RFF-SNCF n’a pas créé les conditions d’un pôle français fort et d’une optimisation de la dépense publique. Les Allemands, eux, ont conservé leur caractère intégré. Ils ont gardé une holding commune. Regardons toutes les solutions. Nos voisins ont surtout réglé de nombreux problèmes : désendettement total, prise en charge du surcoût lié au statut des cheminots via une caisse dédiée, large financement public par les länder. Les surplus dégagés en Allemagne par la DB financent par exemple les acquisitions en Grande-Bretagne. Ce succès leur permet désormais de conquérir des marchés en Europe. De plus en plus, se profile le scénario d’une Europe du ferroviaire dominée par l’Allemagne. Où est la place de la France ?
Le transport ferroviaire peut-il être rentable ?
Le système ferroviaire ne s’autofinance dans aucun pays. C’est comme si on disait que les routes vont être financées par les automobilistes. Hors autoroutes, le réseau est largement payé par la collectivité. Croire que le contribuable va se désengager et que le voyageur ou le chargeur vont assurer seul le coût, n’aboutirait qu’à creuser les pertes. Trop ponctionné, le client reviendrait alors à la route. L’infrastructure serait étendue mais de moins en moins utilisée. Un non sens !
La création de transports collectifs n’est pas rentable, du moins tant que les coûts externes – accidents, temps perdu dans les embouteillages, pollution, etc – ne sont pas mesurés et intégrés. Il manque de l’ordre d’un milliard d’euros par an dans le financement du ferroviaire. Il faut avoir le courage de développer une ressource propre au transport durable, assise sur des coûts externes : taxe carbone, taxe à l’essieu, euro-vignettes, péage urbain ou autre. Il faut développer une fiscalité écologique qui profite aux systèmes de transport vertueux.
Que pensez-vous des nouveaux projets de lignes à grande vitesse prévus par le Grenelle de l’environnement ?
Le TGV est une fierté française. C’est très ambitieux de construire quatre lignes en même temps quand, jusque là, on les construisait une par une. Ce faisant, le risque est de faire exploser les péages demandés par RFF ou les concessionnaires. Sur la nouvelle ligne Tours-Bordeaux, les péages prévus, assez dissuasifs, ne permettraient pas de faire circuler davantage de trains pour rentabiliser la ligne. On risque d’avoir un trafic supplémentaire bien plus faible qu’espéré.
Le risque est de se retrouver avec des lignes à grande vitesse de plus en plus longues et de moins en moins utilisées. Enfin, le financement des lignes à grande vitesse ne peut se faire au détriment du financement du réseau existant. La question est : voulons nous un réseau LGV de pointe connecté à un réseau classique en déshérence ?
La construction d’un réseau de LGV en France, c’est l’affaire d’une génération, pas de quelques années.
La SNCF n’a-t-elle pas elle-même succombé au tout TGV dans le passé ?
Ma priorité – et celle fixée par le chef de l’Etat dans ma lettre de mission – , ce sont les trains du quotidien. La SNCF sait ce qu’elle doit au TGV, qui est aujourd’hui la 3ème activité après nos trains du quotidien et la logistique de marchandises. Je suis un militant convaincu du réseau classique. D’autant que certaines lignes de banlieue sont aussi dans une impasse. Il est irrationnel d’installer des entreprises le long des lignes de RER aujourd’hui saturées. Cela ne peut que générer une médiocre qualité de service.
Le RER D par exemple est la première ligne de la SNCF avec 550.000 voyageurs par jour. Sa fréquentation augmente de 5% chaque année. Cela représente 25.000 personnes de plus par jour à transporter. Pour les transporter sans détériorer la qualité de service, il faudrait 25 trains supplémentaires tous les jours. Combien en met-on ? La réponse est simple : zéro, tout simplement parce que la ligne est déjà saturée. Le plan annoncé en janvier par Maurice Leroy et Jean-Paul Huchon prévoit une priorité financière pour augmenter la capacité des lignes existantes ! Je m’en réjouis !
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