Electrification ferroviaire, oui mais hydrogène ou caténaires ?
La nécessité de réduire les pollutions générées par la traction diesel est largement admise aujourd'hui. Pour certains, l'hydrogène apparaît comme une solution permettant de remplacer les engins diesel par une motorisation électrique. En mars 2021, les chemins de fer autrichiens lançaient leur premier train à hydrogène après trois mois d'expérimentation. En France, il est également question d'acquisition de ce type de matériel. Cependant, il est reconnu qu'à ce jour, la production reste très onéreuse et que la rentabilité n'est pas au rendez-vous. Le débat reste donc ouvert. Nous avons eu connaissance d'un article de Jean-Jacques Marchi (Docteur ès Sciences Économiques de l’Université de Bordeaux) réalisé à la demande des collectifs "Oui au train de nuit" et "Sauvons les trains Nantes-La Rochelle-Bordeaux" comparant la traction ferroviaire à alimentation hydrogène et caténaire. Au final, un plaidoyer pro électrification caténaires !
Electrification ferroviaire : hydrogène, ou bien caténaire ?
jean-jacques.marchi@wanadoo.fr
Ici, des élus renoncent à électrifier par la caténaire au prétexte que les trains à hydrogène arrivent (Laroche-Migennes <> Auxerre)i. Là, un député, auteur d’un rapport sur le « verdissement » des matériels ferroviaires, propose de tester l’hydrogène sur la ligne, pourtant déjà électrifiée, qui traverse sa circonscription : la ligne du Médoc.ii. Hommes politiques, industriels, lobbyistes peuvent sauter sur leur chaise comme des cabris en disant « l’hydrogène ! l’hydrogène !», pour paraphraser De Gaulle. Mais est-ce bien raisonnable ?
Par rapport à la route ou à l’aviation, le rail est un très modeste émetteur de GES (Gaz à Effet de Serre). En Europe, avec seulement 1% des émissions, il réalise 7% du transport de passagers et 12% du trafic marchandises : une illustration de son incomparable efficacité. Et pourtant, le rail ne peut se tenir à l’écart de la tendance à l’indispensable décarbonation de l’économie : c’est justement cette capacité du rail à décarboner l’économie mieux et plus vite que les autres modes de transport qui constitue, pour peu qu’on la lui donne, sa chance. La prise en compte, à leur juste valeur, des atouts du rail, doit lui permettre de capter des trafics supplémentaires : c’est le fameux report modal que de nombreux acteurs appellent de leurs vœux, jusque-là en vain en ce qui concerne la France qui affiche pourtant l’ambition d’être neutre en carbone en 2050.
C’est un fait qui ressort avec une régularité dans les bilans environnementaux : quel que soit le moyen de transport (et même au-delà du transport), l’électrification n’est vraiment vertueuse au global que si, et seulement si, l’énergie électrique employée est « verte », ou au minimum « bas carbone ».
Aucune électricité n’est jamais totalement propre, mais il y a des électricités meilleures que d’autres. A une extrémité du spectre, l’électricité produite à partir du charbon est la plus carbonée. Elle est suivie, dans un ordre de pollution décroissante, par le pétrole, puis le gaz. De l’autre côté du spectre, parmi les sources d’électricités « vertes », nous avons l’hydraulique (la houille blanche), l’éolien, le solaire Autant d’énergies renouvelables.
Le nucléaire est considéré comme « bas carbone » ; cependant certaines ONG environnementales dénoncent le fait qu’il n’est ni « vert », ni renouvelable. Cela étant dit, l’électricité française restera encore longtemps majoritairement d’origine nucléaire, et donc toute électrification supplémentaire sera au moins “bas carbone“.
Faites circuler des trains sous caténaire avec une énergie électrique fortement carbonée, le résultat sera médiocre : certes, pas de pollution locale (un plus indéniable pour les riverains !) mais, au global, ça ne sera pas mieux qu’avec la traction diésel.
Il convient donc d’examiner avec prudence les bilans carbones géographiquement larges qui incorporent de fait pas mal d’énergie carbonée : par exemple les bilans carbones à l’échelle européenne, qui intègrent à la fois la Pologne, grande utilisatrice de charbon, et la France qui fonctionne majoritairement au nucléaire. La moyenne ne veut pas dire grand-chose. Les bilans carbones pays par pays peuvent sembler plus pertinents, au bémol près qu’ils sont réalisés sur la base de réseaux électriques interconnectés. La meilleure option, lorsqu’elle est disponible, consiste à s’appuyer sur le « mix » électrique utilisé par chaque exploitant ferroviaire.
Aux anti-nucléaires qui reprochent au réseau ferroviaire français de fonctionner essentiellement à l’atome, nous répondons que ce n’est pas une fatalité. L’histoire comme l’actualité en fournissent de nombreux exemples.
Du côté des « petits » réseaux, le Tramway de la Chaussée des Géants (Irlande du Nord) a été le tout premier à fonctionner à la houille blanche dès… 1883 ! Il a été suivi par de nombreux autres, y compris dans l’Hexagone.
Les premiers « grands » réseaux ferroviaires français, eux aussi, ont été électrifiés grâce à l’énergie hydraulique ; ils disposaient de leurs propres centrales et réseaux de distribution d’électricité. Exemple emblématique, le MIDI a lancé une politique pionnière d’électrification à partir des années 1920. Au début des années 1980, la SNCF produisait encore 30% de son énergie grâce à ses barrages.
De nos jours, en Suisse, les sept centrales hydrauliques des SBB/CFF/FFS (les chemins de fer suisses) génèrent 90% du courant de traction des trainsiii. Les NS néerlandais roulent à 100% à l’éolien depuis début 2017iv.
Il est ainsi possible, depuis plus d’un siècle, de faire circuler des trains en utilisant des énergies « vertes », renouvelables, sans faire appel à l’énergie nucléaire.
L’élément hydrogène (H) est présent en quantités astronomiques (sans jeu de mots) dans l’univers dont il composerait environ 75% de la masse. Beaucoup d’énergie ou des processus chimiques polluants sont nécessaires pour « extraire » le « vecteur énergétique » hydrogène, dans les faits du dihydrogène (H2) : la molécule résultant de l’association de deux atomes d’hydrogène. Dans la suite de cet article c’est à ce dihydrogène auquel nous ferons référence chaque fois que nous parlerons d’hydrogène. Il n’existe pas à l’état naturel sur notre planète v.
Aujourd’hui, environ 95% de l’hydrogène produit est « gris », extrait par vaporeformage du gaz naturel (cas le plus fréquent), par oxydation du pétrole ou gazéification du charbon. Vous voulez des mobilités bas-carbone ? C’est raté ! Les processus de production dégagent du dioxyde de carbone (gaz carbonique – CO2) en quantités généreuses : quelque 10 kg de CO2 par kilo d’hydrogène produit à partir du gaz, 13 kg par oxydation partielle des hydrocarbures, et près de 20 kg par gazéification du charbon vi. Dommage, l’hydrogène qui en résulte est relativement bon marché.
Vous voulez faire les choses proprement ? Il vous reste l’électrolyse de l’eau, avec une énergie « bas carbone ». Nous parlerons d’hydrogène « vert » si l’énergie électrique utilisée est 100% renouvelable. Ou d’hydrogène « jaune » si elle est composée en majorité d’énergie nucléaire (le mix énergétique français).
Pour produire un kilogramme d’hydrogène par électrolyse, il vous faut environ 50 kWh d’électricité. Le rendement étant d’environ 70%, l’hydrogène produit en sortie d’électrolyseur ne représente plus que 35 KWh d’énergie. Ce processus aboutit à un coût de l’hydrogène trois ou quatre fois plus élevé que l’hydrogène « gris » : 4 à 6€ le kg à la sortie d’un gros électrolyseur, environ 10€ / kg avec les coûts de compressionvii. A cause de son coût, cet hydrogène « vert » (ou « jaune ») représente moins de 5% de l’hydrogène produit actuellement. Avec l’augmentation de la production et les progrès techniques, ce coût baissera tendanciellement, car toutes les technologies nouvelles, en se développant, se démocratisent. Mais cela ne se fera pas de suite. L’hydrogène « vert » (ou « jaune ») restera cher, encore longtemps.
Pour que l’hydrogène produit par électrolyse ne requière pas de subventions massives, il faut créer des « clusters » locaux. Près de l’électrolyseur, une station- service est installée et ses exploitants tentent rentabiliser l’opération par des débouchés multiples : par exemple une utilisation ferroviaire mutualisée avec d’autres utilisations, routières pour la plupart (flotte de bus à hydrogène, de tramways, de camions de livraison, de véhicules d’entreprise, de taxis, de vélos à assistance électrique). Cette stratégie peut fonctionner, après avoir essuyé les plâtres comme pour chaque nouvelle technologie, lorsque les parties prenantes arriveront à se mettre d’accord et feront preuve d’un engagement sans faille. Ailleurs, probablement dans la majorité des cas, après l’enthousiasme des débuts, attisé par le lobbying actif des promoteurs de l’hydrogène, l’opération restera… une opération de communication.
Il est souvent reproché à l’électrification par caténaire de nécessiter de lourds investissements. 1 M€ le km est un chiffre couramment vu, avec des divergences selon les pays et le profil des lignes viii. Mais, une fois ces investissements faits, les coûts d’exploitation sont très faibles.
De ce point de vue, avec des investissements non négligeables et des coûts d’exploitation plutôt élevés, l’hydrogène cumule les handicaps. Avec l’inconvénient supplémentaire d’une technologie émergente, donc non entièrement maîtrisée : nous ne connaissons pas encore la fiabilité (« dépendabilité ») du « système hydrogène », le retour d’expérience étant balbutiant.
Pour mettre hydrogène et caténaire dans des conditions d’égalité, supposons que l’énergie électrique produite pour alimenter le train soit « verte ». Voici donc disons 100 KWh d’énergie en sortie de centraleix.
- Vous utilisez la caténaire ? A l’arrivée, vous disposez d’environ 90 KWh pour les moteurs de la locomotive. Une perte de 10% seulement.
- Vous utilisez l’hydrogène ? L’électrolyse vous fait déjà perdre quelque 30% de vos
100 KWh, puis viennent la compression (ou la liquéfaction), le transport, le stockage, la distribution (de 5 à 20% de perte par opération). Enfin le passage dans la pile à combustible dissipe encore 40 à 50% de l’énergie restante ! Au final ne restent plus que 20 à 25 KWh pour les moteurs de la locomotive. Une perte de 75% à 80% de l’énergie initiale. Une autre estimation, très favorable, donne une perte de « seulement » 57%x.
Avec l’hydrogène, si vous voulez les 90 KWh à l’entrée des moteurs que vous laisse la caténaire, il vous faut produire 360 à 450 KWh (à comparer avec 100 KWh si vous utilisez la caténaire). En gros 4 fois plus d’énergie pour faire fonctionner un train à hydrogène par rapport à un train alimenté par caténaire. Si vous prenez la seconde estimation, il vous faut quand-même mobiliser environ 210 KWh (contre 100 KWh avec la caténaire), plus de 2 fois plus.
Le principal défi que doit relever de l’économie de l’hydrogène apparaît clairement : c’est son inefficacité énergétique. Bien-sûr, des progrès seront faits, mais l’écart initial avec la caténaire est tellement important qu’il ne sera probablement jamais comblé (d’autant que la caténaire, elle aussi, continue à gagner en efficacité).
Maintenant que nous avons notre hydrogène transporté et stocké en toute sécuritéxi dans sa station-service, d’autres problèmes se posent… à bord du train.
Un train à hydrogène, comme le Coradia iLint d’Alstom, qui circule dans le Nord de l’Allemagne depuis septembre 2018, nécessite pour sa traction : des réservoirs d’hydrogène, une pile à combustible, des batteries et bien-sûr des moteurs électriques.
Les réservoirs d’hydrogène de l’iLint sont stockés sur le toit. Ils sont très volumineux, pour garantir une autonomie correcte (1.000 km selon le constructeur). Avec une densité d’énergie de 120 MJ/kg (contre 43 MJ/kg pour le gazole), l’hydrogène est un bon carburant. Mais l’hydrogène étant très léger, ce kilogramme représente un gros volume. Il faut donc comprimer fortement l’hydrogène voire le liquéfier pour le transporter ou le stocker. Même comprimé à 500 bars, il faut 8 à 10 fois plus de volume pour stocker la même énergie que dans le cas du gazole. Avec la liquéfaction, plus coûteuse encore, un litre d’hydrogène donne 8,4 MJ contre 35,7 MJ pour un litre de gazole !xii
La pile à combustible réalise l’opération inverse de l’électrolyse : l’hydrogène des réservoirs se combine avec l’oxygène de l’air ambiant, pour produire de l’électricité. Le tout sans pollution locale : le seul résidu, c’est de l’eau. La pile à combustible fournit une puissance assez régulière. Cette puissance convient en palier à vitesse constante mais s’avère insuffisante pour les phases gourmandes en énergie (démarrage, rampes).
Les exploitants manquent encore de recul sur la durée de vie des piles à combustible en conditions réelles d’exploitation. Ajoutons que les piles à combustible nécessitent des métaux rares, dont la production est tout sauf écologique. Il en va de même pour les lourdes batteries, indispensables pour amener un complément de puissance aux moteurs. En revanche, la caténaire nécessite des métaux plus classiques ou « ordinaires » (cuivre notamment).
Les batteries permettent aussi de capter le surplus d’énergie en descente, dans les phases de décélération et de freinage. Or, ce freinage par récupération est également possible dans le cadre d’une électrification « classique » (par caténaire), à condition de disposer d’une installation électrique et d’un matériel roulant équipés à cette fin.
Sur le iLint (qui fonctionne aujourd’hui à l’hydrogène « gris »), une alimentation à l’hydrogène « vert » aboutirait à un coût du carburant au kilomètre de 3,3 € (1 kg de H2 à 10€ permettant de faire 3 km). A comparer avec la traction électrique par caténaire : avec 0,50 € par km, cette dernière revient 6 à 7 fois moins cher !xiii Là aussi, il n’y a pas photo.
Mais ce n’est pas tout. La puissance fournie par la pile à hydrogène et les batteries est aujourd’hui insuffisante pour des trains lourds (fret) ou pour des itinéraires exigeants. Les premiers iLint ont été mis en œuvre, certes avec succès, mais sur des lignes de plaine aux vitesses limites modérées (140 km/h). Sur des lignes montagneuses, ils seraient vraisemblablement incapables de faire concurrence aux automoteurs existants, fussent-ils électriques ou même diésel.
Pas top pour l’hydrogène : en France, beaucoup de « petites » lignes, exploitées avec du matériel diésel, sont des lignes de montagne ou au profil difficile. Justement là où l’on voudrait nous « vendre » le train à hydrogène. Problèmes en vue…
Tout cela ne condamne pas, en soi, le train à hydrogène. Ces problèmes seront probablement résolus un jour. Or, les indicateurs climatiques indiquent que nous n’avons pas le luxe d’attendre. Alors, électrifier par caténaire ne serait-il pas LA solution ?
Spécialement en France, « électrifier (par la caténaire) coûte cher ». Une antienne, répétée à l’envi par la SNCF, reprise par nos décideurs peu au fait des transports mais soucieux de leur image de « bon gestionnaire ». A les écouter, nous pourrions presque croire que la Suisse, avec son réseau intégralement électrifié, est en faillite…
Pourtant, ces mêmes décideurs continuent, sans regarder à la dépense, à couler goudron et béton pour des contournements routiers, des bouts d’autoroute, cela à un tarif bien plus élevé au kilomètre et pour une capacité d’écoulement du trafic bien moindre. Sans parler de l’artificialisation des terres, de la perte de biodiversité, des émissions de GES et des pollutions diverses qui découlent de ces choix.
Cher, certes, mais pour quoi faire ? Du train « à la française », approche malthusienne, avec quelques circulations par jour dans chaque sens ? A ce train (de sénateur) les mobilités décarbonées rendues indispensables pour limiter l’emballement climatique ne seront pas au rendez-vous. Les émissions de CO2 des transports ont beau augmenter sur le moyen / long terme (c’est le seul secteur économique dans ce cas), nos décideurs s’entêtent dans leur vision d’une transition écologique via la route, et non via le rail (à l’exception des TGV), autrement dit sans transfert modal ! C’est un pari fou que cette décarbonation des transports par la seule routexiv. Bizarrement, les médias ne se sont pas (encore ?) emparés de la question…
A l’inverse, il est possible de faire du train « à la suisse, à l’allemande, à l’autrichienne », avec des cadencements et une vraie offre. Pour un transfert massif des voyageurs et des marchandises vers le rail. Le chemin de fer est justement un moyen de transport à rendement croissant, fonction du trafic. C’est le premier train qui coûte cher : pour lui la ligne doit être ouverte, entretenue (infrastructures, signalisation) et avec le personnel adéquat. Les circulations suivantes sont moins chères et, plus il passe de trains, plus l’ensemble se rentabilise. Une caractéristique du rail qui a du mal, chez nous, à faire son chemin (de fer).
Ensuite, si nous calculons comme avant les crises pétrolières et la crise écologique, avec un pétrole (beaucoup) trop bon marché et une planète absorbant sans (trop) broncher nos agressions, nous pouvons être sûrs que l'électrification sera toujours trop chère ! Pour noircir encore le tableau franco-français, ajoutons encore :
- La confusion commune entre le trafic observé et le trafic potentiel d’une ligne ferroviaire, alors que le premier n’est parfois qu’un trafic résiduel issu d’années d’une offre (volontairement ?) inadaptée, finissant par dégoûter même les voyageurs les plus motivés ;
- Le fait que la dégradation des conditions d’habitabilité de notre planète, les secousses à venir dans la géopolitique ne sont pas intégrées à leur juste poids dans les calculs économiques. Cela inclut notre extrême dépendance aux énergies fossiles importées (souvent en provenance de pays déstabilisés)xv, une épée de Damoclès dont le potentiel destructeur pour notre économie est largement sous- estimé, voire même passé sous silence.
Que faudrait-il faire ? Aujourd’hui, à peine plus de la moitié du réseau ferroviaire français est électrifiée. Par où commencer ? Nous nous bornerons à évoquer quelques pistes d’électrifications :
- Les liaisons structurantes dont la totalité du parcours est rarement électrifiée. Il reste généralement une section d’une centaine de kilomètres fonctionnant encore au diésel ce qui nuit à leur cohérence (par exemple entre Nevers et Chagny sur la voie ferrée centre Europe Atlantique - VFCEA, entre Saint-Germain-des-Fossés et l’entrée de l’agglomération lyonnaise sur Lyon - Nantes, entre Clermont-Ferrand et Neussargues sur Paris- Béziers, entre Angoulême et Limoges sur Bordeaux - Limoges, etc…) ;
- Les liaisons de type RER urbain, amenées à se développer dans les prochaines années (par exemple Bordeaux – Saint-Mariens / Saint-Yzan) ;
- Les liaisons intra-régionales fréquentées (par exemple Bordeaux – Périgueux ou Clermont-Ferrand – Brioude) ou bien les « barreaux » entre deux cités d’importance (par exemple Poitiers – Limoges) ;
- Les liaisons inter-régionales dont le potentiel est aujourd’hui largement sous- utilisé (la ligne Bordeaux – Nantes en constitue un exemple emblématique).
Prioriser, selon leur classification UIC, les lignes à électrifier est une possibilité, mais à utiliser avec grand discernement. En effet, la classification UIC favorise les lignes ayant un trafic fret « lourd » au détriment du trafic voyageursxvi. Avec l’arrêt du trafic par wagon isolé, des portions entières du réseau ferré français (notamment dans le Massif Central) ont basculé dans les profondeurs du classement, une chute qui sonne comme un arrêt de mort et consacre une regrettable tendance au « dés- aménagement » du territoire.
Pour le rail français, inspirons-nous de ce qui se fait ailleurs en Europe : Allemagne et Autriche poursuivent l’électrification leurs lignes, tout en testant, à la marge, l’hydrogène : déplaçons résolument le curseur vers plus d'électrifications ; ce qu’il restera, il sera toujours possible de l'abandonner aux trains à hydrogène.
D’autant qu’une « électrification frugale »xvii permet de comprimer les dépenses d’investissement. Deux configurations sont possibles : l’électrification à moindre coût et l’électrification partielle.
La première électrifie à l’économie : diminution et allègement du nombre de poteaux, supports caténaires simplifiés, caténaire simple type trolley (suffisante jusqu’à 100 km/h, du type installé sur la ceinture de Paris et en Savoie).
La seconde renonce à électrifier les zones trop onéreuses (tunnels, ponts, tranchées trop étroites…). Cela suppose de disposer de matériels ferroviaires hybrides, au minimum sur de courtes distancesxviii.
Plus largement, en restant dans le schéma d’une électrification « classique », l’augmentation de la tension est LA solution : la puissance (exprimée en Watts) est égale au produit de l’intensité (exprimée en Ampères) par la tension (exprimée en Volts). Une tension plus élevée c’est : soit la possibilité, à coût égal, d’augmenter le trafic sur les itinéraires très sollicités, soit l’opportunité de réduire les coûts, à trafic égal. Dans les deux cas, c’est donc, moyennant les éventuels travaux de mise en sécurité du gabarit électrique, « tout bénéfice ».
En France et ailleurs, le courant alternatif 25.000 V - 50 Hz s’est imposé à partir des années 1950-1960 comme un standard, pour tous types de trafic, TGV inclus. C’est précisément à cette norme que les réseaux de la moitié Nord de la France, restés longtemps en traction thermique, ont été électrifiés.
Au Sud, l’électrification, bien plus précoce (à partir de 1920), s’est faite en 1.500 V continu. Les installations accusent leur âge.
Une reconstruction de ce réseau à 25.000 V - 50 Hz serait relativement onéreuse (nécessité de changer l’ensemble des installations et le gabarit électrique) mais aurait l’avantage de mettre l’ensemble du réseau français à un standard électrique moderne.
Une ré-électrification au 3.000 V continu, tension largement utilisé en Europe (Espagne, Italie, Belgique, Pologne, Russie…) et ailleurs (Maroc, Afrique-du-Sud…) constituerait une alternative plus économique pour « revamper » le réseau méridional. Elle est sérieusement étudiée aux Pays-Basxix. Cela supposerait une adaptation du matériel roulant, qui serait cependant peu onéreuse pour les matériels modernes (adaptation du « bus » informatique).
Plus audacieux, le passage au 9.000 V continu permettrait théoriquement des performances comparables au 25.000 V - 50 Hz, y compris pour les TGVxx. Mais le 9.000 V continu n’en est qu’au stade expérimental.
L’hydrogène est probablement une technologie d’avenir mais son utilisation massive dans le ferroviaire pour remplacer le diésel n’est pas pour demain. Il va rester, pour un temps encore, une technologie de niche, qui certes progressera mais sans jamais atteindre l’efficacité de l’électrification par caténaire, tant l’écart de performance initial est grand.
Certes, un leader politique photographié devant un train à hydrogène fait
« moderne » devant des électeurs qui, comme leurs élus, ne peuvent pas être au courant de tous les aspects techniques. Mais la caténaire a beau être ringarde aux yeux de nos politiques, depuis plus d’un siècle, personne n’a pas trouvé mieux. A l’heure des plans de relance, une électrification supplémentaire du réseau ferré, couplée à la modernisation des électrifications en 1.500 V continu, viendrait à point nommé et marquerait un pas en avant vers une plus grande résilience dont les générations à venir profiteraient assurément.
Par rapport aux aides colossales versées aux secteurs automobile et aéronautique (pourtant probablement condamnés à « rétrécir » dans les prochaines années), le coût d’un tel plan resterait somme toute raisonnable : de l’ordre de 15 à 25 milliards d’eurosxxi, un effort qui pourrait être réparti sur 10 à 20 ans. Cet investissement serait rentabilisé rapidement, pour peu que notre pays fasse, enfin, le nécessaire pour aboutir à report significatif du trafic routier vers le rail.
Car, pour verdir le ferroviaire rapidement, efficacement, seule l’électrification classique par caténaire est éprouvée, opérationnelle et disponible de suite. Elle ne devrait pas trouver de concurrent à sa mesure avant très, très longtemps...
*Jean-Jacques MARCHI est Docteur ès Sciences Economiques de l’Université de Bordeaux. Remerciements à Joël HILLAIREAU et Jacques DURAND pour leurs conseils.
i « Le Conseil Régional met fin au projet d’électrification du tronçon ferroviaire Auxerre / Laroche-Migennes », l’Yonne Républicaine, 19 décembre 2018. Le Conseil régional met fin au projet d’électrification du tronçon ferroviaire Auxerre/Laroche-Migennes - Auxerre (89000) (lyonne.fr)
ii Le verdissement des matériels roulants du transport ferroviaire en France, établi par Benoît SIMIAN, député,
novembre 2018 ? carte p. 12.
iii VIA, le magazine suisse des SBB CFF FFS, janvier / février 2020, p. 43. L’objectif est de 100% en 2025.
iv Voir : Les trains électriques néerlandais deviennent 100% alimentés par l'énergie éolienne - Enviro2B
v Des découvertes récentes indiquent que l’hydrogène (dihydrogène, H2) existe à l’état naturel sur notre planète, comme le gaz naturel.
vi Le verdissement des matériels…, op. cit., p. 70.
vii Idem, p. 19.
viii Ibid., p. 15, compter de 0,35 M€ à 1,5 M€ / km pour une voie simple ; de 0,7 M€ à 3 M€ / km pour une double voie.
ix Le raisonnement qui suit est basé sur les éléments fournis par : GILBERT L., PERL A., Transport Revolutions
(Moving people and freight without oil), New Society Publishers, Gabriola Island (Canada), 2010, p. 141, 144- 146 et schéma p. 144.
x Idem, p. 145.
xi Les problèmes de sécurité, qui ont longtemps empêché la filière de « décoller », sont désormais résolus. Un train à hydrogène n’est pas plus dangereux qu’un matériel thermique, et peut-être même moins vu les dispositifs de sécurité « pointus » qui y sont déployés.
xii Ottaviani J., « Le train à l’hydrogène est-il l’avenir des lignes régionales ? », Ferrovia Midi n° 354 (14 avril 2018), p. 19.
xiii Le verdissement des matériels…, op. cit., tableau p. 41-42. Ce tableau mentionne une fourchette de prix allant 3,3 à 1,3 € le km. Nous supposons que le prix le plus bas correspondant à de l’hydrogène « gris ».
xiv Le rail nécessitant 3 à 4 fois moins d’énergie que la route pour transporter la même charge, les pays ayant
privilégié le rail « feront le travail » (au sens physique comme au sens commun) plus facilement et maintiendront un niveau de vie potentiellement plus élevé, par un emploi plus efficace de ressources énergétiques limitées.
xvSelon BEAUVAIS J.-M., formation « changements climatiques et modes de vie », in Transports, Infrastructure
et Mobilité, janv. 2019, les produits pétroliers représentent environ 90% de la consommation totale du secteur des transports.
xvi EMANGARD P.-H., « La carte… du classement des lignes en catégories UIC », Transports Urbains, 2005-2,
n°108, p. 16 à 17.
xvii Siapartners, Panorama des solutions d’électrification frugale des réseaux ferroviaires dans le monde.
xviii Cependant, la « caténaire rigide » est une solution validée sur les faibles gabarits de la Ligne C du RER parisien. Et des technologies actuelles permettent de faire passer une caténaire haute tension (25 kV – 50 Hz)
sans trop de travaux sur les voutes des tunnels sains. Donc il est possible aussi, dans un certain nombre de cas, de faire « avec » la caténaire.
3.000 V - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est (canalblog.com)
xx VERDICCHIO A., Nouvelle électrification en courant continu moyenne tension pour réseau ferroviaire, thèse de doctorat en Génie Electrique, Toulouse INP (Institut National Polytechnique), Université de Toulouse. Thèse soutenue le 24 octobre 2019. Directeur de thèse P. LADOUX.
xxi Dans l’hypothèse d’une électrification à hauteur de 10.000 km (sur les 15.000 km restant à électrifier)
associée à une modernisation de l’ensemble du réseau 1.500 V. Option 1 : passage au 25.000 V – 50 Hz, compter entre 20 et 25 milliards d’euros. Option 2 : passage au 3.000 V, compter entre 15 et 20 milliards d’euros.
Train à hydrogène - LA VOIX DE NOSTERPACA
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