Faire pédagogie
L'article ci-après vu dans le "Mobitelex 295" apporte des éléments qui tempèrent les propos tenus sur notre blog à propos du traitement ressenti comme différencié entre Air France et SNCF. L’État ne serait donc pas coupable de tous les maux ? Cette mise au point permet de relativiser nos réactions parfois impulsives et d'apporter une certaine objectivité. Mais notre vigilance ne sera pas amoindrie pour autant.
L’avion, le train et L’État
Non, ce n’est pas une anachronique fable de La Fontaine. Mais depuis quelques semaines, on entend la «communauté cheminote» qui s’émeut: pourquoi eux et pas nous? Pourquoi 7 milliards d’euros à Air France et rien pour nous? Avec une variante, pourquoi nous et pas eux? Pourquoi subissons-nous la distanciation physique dans les trains, et pas Air France dans les avions?
L’aide que la DB s’apprête à recevoir du gouvernement allemand conforte ce sentiment «deux poids, deux mesures». Alors, comme le gouvernement a pris un certain nombre de mesures dans le secteur des transports sans faire leur pédagogie, voilà ce que cela donne. Mobilettre a décidé de faire le boulot à sa place.
La SNCF quand elle emprunte aujourd’hui, même si elle est devenue une SA, le fait en bénéficiant pratiquement encore de la note de l’État, son actionnaire à 100%. C’était le cas pour l’emprunt obligataire du mois dernier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on a reproché à Jean-Pierre Farandou d’avoir officiellement annoncé des pertes de 2 milliards d’euros: non pas parce qu’il affolerait les actionnaires, mais parce que la note financière de la SNCF pourrait être dégradée d’ici le prochain emprunt. Du côté d’Air France, il en va tout autrement puisqu’elle emprunte aux conditions du marché: pour répondre aux problèmes de trésorerie, il n’y avait donc pas d’autre solution qu’un prêt garanti de l’Etat. Ce fut donc un prêt de 7 milliards, remboursable (ou transformable en parts du capital?).
Sauver Air France car sa faillite ou sa vente serait insupportable politiquement
Voilà pour le sujet trésorerie. Ensuite, pourquoi fallait-il autant aider Air France? L’État est actionnaire pour un peu moins de 15%, tout comme l’État néerlandais, il reste donc près de 70% d’actionnaires privés. Il fallait penser à ces actionnaires, non pas pour sauver leur capital (la fameuse socialisation des pertes) mais pour leur enlever la tentation de vendre des titres dégradés, avec un risque de perte de souveraineté. Entre quelles mains seraient tombés les titres Air France ou une partie d’entre eux ? C’est un peu une démonstration par l’absurde qu’Air France ne sera jamais une compagnie comme une autre: la sauver, car sa faillite ou sa vente serait insupportable politiquement.
Car il y a bel et bien un sujet filières industrielle et économique. Le premier poste d’exportation français c’est l’aéronautique: on pense à Airbus et Safran, mais il y a aussi tous les sous-traitants de l’aéronautique. C’est la raison du cri d’alarme lancé par le GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) qui regroupe 400 sociétés de la filière et représente près de 200 000 emplois en France.
Côté industrie ferroviaire, on est heureux d’apprendre qu’Alstom va bien malgré la crise – une fois n‘est pas coutume (lire ci-dessous). Et que l’opération de rachat de Bombardier suit son cours. Par ailleurs, même si dans l’immédiat, la question est moins prégnante avec la fermeture des frontières et notamment celles de Schengen, l’aérien, c’est aussi le vecteur d’un tourisme à fort potentiel économique: il faudra qu’il reparte et le plus rapidement possible.
Parmi les motifs d’aides à Air France, il y a aussi un sujet poids économique national et emploi: Air France, ce sont plus de 475000 emplois directs et induits (un emploi direct à Air France génère 8,7 emplois dans le pays), 1,6% du PIB et près de 3,5 milliards de recettes fiscales. Air France est aussi le premier employeur privé d’Ile-de-France avec 53 000 emplois directs et plus de 230 000 emplois directs, indirects et induits dans la région. Plus de 80% des emplois se situent sur le site de Roissy et sont donc essentiels pour le département de… Seine-Saint-Denis. Il y avait donc un volet social à prendre en compte.
La SNCF ne peut invoquer la peur de «l’autre» pour appeler à l’aide
On ajoutera qu’Air France est en situation totalement concurrentielle et que la SNCF qui n’a eu de cesse de retarder l’arrivée de la concurrence pour le voyageur ne peut invoquer la peur de «l’autre» pour appeler à l’aide.
Il ne s’agit pas pour autant de dire qu’à la SNCF tout est rose, loin de là: TGV est presque sans recettes, les AO ne seront sans doute pas prêtes à payer la totalité d’un service qui n’a pas été effectué, les difficultés de Fret sont connues même si 60% du plan de transport a été réalisé pendant la crise, et Geodis qui avait déjà connu un fort ralentissement au dernier semestre 2019 en raison notamment des tensions Chine/Etats-Unis continue de souffrir. Même la holding est à la peine. Rappelons qu’elle a repris les 5 milliards de la dette de Fret lors de son passage en SA au 1er janvier dernier. Or, elle a peu de recettes, à part celles de la SUGE, et le mouvement envisagé pour faire remonter un dividende exceptionnel de TGV en 2020 (et partager ainsi la dette) aura sans doute du mal à se faire compte tenu de la situation financière de TGV.
Donc, il va aussi falloir se saisir, à un moment ou à un autre, du sujet SNCF. Ce devrait être le cas à l’occasion du conseil d’administration de juin, n’en déplaise à des ministres dont on ne comprend pas qu’ils n’aient pas expliqué simplement pourquoi, à la différence d’Air France, la SNCF peut attendre quelques semaines. Voudraient-ils punir un peu la SNCF de son esprit revendicatif qu’ils ne s’y prendraient pas autrement…
Masques obligatoires pour tout le monde, dans l’avion comme dans le train. Mais la distanciation physique n’est obligatoire que pour le train. Dans un premier temps, malgré les images d’un vol Marseille-Paris bondé, elle devrait s’appliquer de fait compte tenu du faible taux de remplissage des avions.
En cabine des filtres dits HEPA apportent les mêmes garanties que ceux utilisés dans les blocs opératoires.
Pourquoi la distanciation physique n’a-t-elle pas été imposée dans l’avion? Il va falloir faire un peu de technique. En cabine, l’air est renouvelé toutes les 3 minutes avec un mix de 50% d’air extérieur et de 50% d’air recyclé. Cet air passe à travers des filtres dits HEPA (High Efficiency Particulate Arrestors), qui apportent les mêmes garanties que ceux utilisés dans les blocs opératoires. Ces filtres extraient plus de 99,99% des virus, y compris ceux de type coronavirus. Dans le circuit d’air, l’air « neuf » arrive par le haut de la cabine au niveau des compartiments à bagages ainsi que par les bouches d’aération orientables qui sont là pour le confort des passagers (et peuvent d’ailleurs être fermées), puis il est aspiré vers le bas. Le même principe vaut pour Airbus comme pour Boeing.
A titre de comparaison, l’aération des TGV et Intercités se fait essentiellement par apport d’air extérieur avec un renouvellement de la totalité de l’air intérieur toutes les 6 minutes environ. L’air est injecté par le système de ventilation/climatisation/
En tout état de cause, une étude sur l’origine du «patient 0» au Canada publiée le 14 avril par le Canadian Medical Association Journal montre qu’aucune contamination n’a été constatée à bord de l’avion qui transportait un porteur du Covid-19 le 22 janvier de Wuhan à Toronto, alors même qu’aucune mesure barrière n’était appliquée à bord de ce vol de 15 heures qui comptait 350 passagers, et notamment qu’aucun des 25 passagers assis à proximité (deux rangs devant et derrière) n’avait été contaminé.
La morale de cette histoire, c’est, comme dirait le Conseil constitutionnel, que la différence de traitement est justifiée par la différence des situations. Il n’empêche que l’État pourrait se montrer plus fin stratège et au lieu d’opposer les modes entre eux, les convaincre de collaborer au bénéfice de l’intérêt général…
Interdire l’avion sur certains parcours au nom de l’impératif environnemental, quelle bonne idée! Reprise par Elisabeth Borne moins d’un an après l’avoir écartée, elle a servi de compensation publique à l’aide massive apportée à Air France.
C’est un peu facile et un peu court. Donner vite fait en pâture à l’opinion quelques preuves de vertitude, ce n’est pas oser une vraie stratégie à l’échelle hexagonale et européenne – ne parlons pas de l’aérien transcontinental, qui ressort d’une autre problématique. Le retour à une conception administrée des déplacements avec des critères à première vue convaincants (pas d’avion sur des trajets assurés en moins de 2h30 par train, hors correspondance) nous semble anachronique; cela balaie de façon radicale à la fois la logique du parcours passager et les dynamiques territoriales. D’autant qu’il n’est pas certain que l’on puisse interdire à une low cost ce que l’on proscrit à Air France: ce serait un comble de mutiler la compagnie nationale pour le bénéfice de concurrents moins-disants socialement…
Imaginerait-on qu’une priorité absolue à l’écologie condamne dans l’instant les trains diesels au profit de cars au bioéthanol? La question est évidemment plus complexe quand on se place du point de vue du passager.
La vérité des coûts nous semble une option préférable, à partir d’une évaluation rationnelle des empreintes écologiques. Chaque mode à son juste prix! Cela boosterait la recherche pour de nouveaux appareils plus sobres et placerait la compétition des modes sur de bons critères. Il faudrait d’urgence s’harmoniser avec nos voisins européens sur toutes les taxes et impositions, de même que nettoyer le maquis des aides publiques déguisées et obliger la DGAC à ouvrir enfin pour de bon le dossier des aéroports secondaires.
Il faudrait aussi débloquer des investissements ferroviaires indispensables pour améliorer son attractivité. Il ne suffit pas de décréter la priorité ô combien légitime au train à propulsion électrique, encore faut-il définir de façon cohérente les politiques publiques en amont. Ce n’est pas gagné.