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LA VOIX DE NOSTERPACA

Inquiétudes sociales

24 Juin 2021 , Rédigé par La voix de NOSTERPACA Publié dans #DOCUMENT

La tension sociale est perceptible à la SNCF dans cette période de sortie du confinement.

NOSTERPACA publie la lettre que l’Unsa ferroviaire adresse à la Direction de l'entreprise. Ce courrier pointe la perte de sens collectif, les processus de déshumanisation et de déresponsabilisation des agents. Elle dénonce une technocratisation des tâches, des managements et des objectifs.

Les utilisateurs du rail peuvent également y trouver des motifs d'inquiétude.

Union Nationale des Syndicats Autonomes

SNCF

Monsieur Jean-Pierre FARANDOU Président Directeur Général de SNCF  2, place aux Étoiles -

93633 LA PLAINE SAINT-DENIS CEDEX

Paris, le 23 juin 2021

Objet : lettre ouverte sur la situation de l’entreprise et le dialogue social

Monsieur le Président,

J’ai souhaité vous écrire cette lettre pour vous alerter sur le climat qui se dégrade davantage chaque jour au sein du Groupe.

J’estime, en effet, qu’en tant que Président du Groupe Public Unifié, vous êtes responsable de son avenir et qu’il est de mon devoir de vous faire remonter ce que nous percevons du côté de l’UNSA- Ferroviaire.

Les CSE sont désormais installés et fonctionnent  de  manière  très  hétérogène  sur  les  territoires : c’est là une des causes majeures de dégradation du climat social.

La mutualisation des instances DP et CHSCT entraîne de facto pour les DET, les RRH et les DUO une véritable perte de mesure de la température sociale de leurs équipes.

Les « signaux faibles » ne remontent plus via les OS dans ces instances qui étaient adaptées aux réalités du terrain et des métiers pour de grandes entreprises comme les nôtres.

Mais ces signaux faibles ne remontent pas non plus via les managers de proximité (ou les cadres en général), qui ne sont pas incités à formuler des remarques, même de manière objective, sur les dérives dans l’organisation.

L’isolement et la défiance exacerbés par la généralisation brusque du distanciel n’aident pas au discernement et à la prise de recul. Les sujets locaux ne sont donc plus traités en proximité, ne trouvent pas réponse dans les CSE, et empoisonnent, dès lors, le quotidien...

En clair, les « vrais » sujets de crispations sociales ne peuvent plus remonter au plus près des DET de manière totalement objective, tandis que les conditions de travail et la santé des salariés se dégradent.

Certains managers sont parfois complètement coupés des réalités du dialogue social, voire même du simple champ réglementaire ou légal, que ce soit chez les jeunes managers ou chez les plus expérimentés.

Cela laisse libre champ à certaines initiatives managériales que je qualifierai de « hardies », l’autonomie et les marges de manœuvre s’affranchissant de plus en plus du cadre légal.

Notre Groupe vit un moment de grande fébrilité du fait de l’immense transformation culturelle et sociale qu’il a opérée depuis 2015.

Tous les projets de réorganisations qui sont actuellement menés par les SA contribuent à désorienter les salariés du Groupe. Parce qu’il vient remettre en cause une organisation du travail pour la remplacer par une autre, un projet de réorganisation commence par être un projet de désorganisation. Que dire alors quand ces projets se multiplient et accentuent leurs effets ?

Certains travailleurs ont perdu le sens de leur activité professionnelle parce que l’entreprise dans laquelle ils évoluent leur a fait perdre précisément ce sens. Ils ne sont plus que des numéros, ils ne sont plus que des producteurs de prestations au premier sens du terme, ils ont perdu leur dignité. Pas la dignité de leur personne, la dignité du travailleur.

Et cela se traduit par des comportements qui ne relèvent pas de la science du droit, mais qui relèvent avant tout du « vivre ensemble ».

En effet, nous constatons que toutes les réorganisations actuellement menées par les SA ne font pas sens au niveau du Groupe et que leurs conséquences humaines et sociales se renforcent mutuellement et vont être catastrophiques sur le terrain.

Un seul exemple pour la SA Réseau : comment objectivement découper les conséquences sociales d’un projet comme « Maintenir Demain » avec celui de réduction des FGA ou encore le fameux plan ZBO ? Il suffit de comptabiliser le nombre d’emplois que ces 3 projets vont supprimer dans chaque Infrapôle, ainsi que le nombre de tâches et de missions qui vont être reportées sur les personnels restants pour constater qu’il ne peut être concevable d’assurer la même quantité de production. Pire, le nombre de missions orphelines que personne n’assumera comme devant être abandonnées montrera combien étaient déjà denses les charges de travail des emplois supprimés !

Toutes ces réorganisations, quoi qu’on en dise, ont des conséquences lourdes et à très court terme sur le plan humain qui vont peser sur le climat social du Groupe tout entier.

Ainsi, le seul plan sur les FGA va induire inévitablement une dégradation des conditions de vie et de travail du reste des agents de production et de l’encadrement de proximité des Établissements. Car ce sont bien ces fameuses « fonctions transverses » qui font le lien social et humain de nos activités et métiers. Ce sont elles qui assurent l’intendance humaine du quotidien de la production. Ce sont elles qui savent concilier les besoins des salariés avec les exigences de l’entreprise.

Vous le savez, à l’UNSA-Ferroviaire, nous ne parlons pas le globish des cabinets de consultants des SA et nous appelons un chat un chat. La langue française possède, en effet, un vocabulaire suffisamment riche pour qualifier ces actuels projets de réorganisation : coupes sombres, effectifs taillés à la hache, plans sociaux déguisés ou « comment passer d’une mobilité tirée à une mobilité poussée » comme en plaisantait récemment, avec une grande désinvolture, un ancien cadre dirigeant de la DRH…

C’est bien pourtant cette réalité que vont vivre tous les opérateurs de terrain des Directions, des usines, des établissements et des gares, ainsi que tous les encadrants des Directions, des usines, des établissements et des gares, et toutes les fonctions support des pôles Ressources Humaines, Communication et Gestions-Finances de SNCF.

Car ce sont énormément de personnes, hommes et femmes, encadrants ou non, qui occupent leurs fonctions avec engagement, conviction, vocation, mais aussi parfois à la suite, déjà, de nombreux reclassements... et qui vont perdre leur poste dans ces projets.

Ces femmes et ces hommes que les Directions des nouvelles SA piétinent avec une grande malhonnêteté intellectuelle dans les présentations faites aux élus des CSE en laissant entendre que c’est sous couvert « d’amélioration de la qualité » que SNCF va mener de front tous ces projets en même temps...

Comment peut-on mettre en avant la qualité, le meilleur rendu au client, alors que l’on sacrifie dans le même temps tout contact humain, tout intermédiaire capable de gérer les crises, au profit de grands collectifs de plus en plus éloignés des réalités de la production ferroviaire et des mobilités du quotidien ? Comment justifier que l’on réorganise par « plaques de services mutualisées » les plus éloignées possibles de l’utilisateur final, et que l’on sacrifie au passage les managers de proximité qui faisaient le lien technique et social avec les opérateurs de terrain ?

Monsieur le Président, vous vantiez récemment en vous adressant à vos managers les mérites du pilier « humain » du projet « Tous SNCF ». Mais ce que l’UNSA-Ferroviaire note et dénonce, c’est que désormais, par la segmentation du Groupe en SA et son absence mécanique de solidarité inter- filières, dans nombre de collectifs de travail, la montée des discours managériaux sur l’autonomie s’accompagne d’un développement encore plus important des processus totalement déshumanisés. Mais surtout, nous assistons à un compartimentage de plus en plus étanche des organisations du Groupe SNCF, à des tensions dans les relations sociales, et enfin à des cloisonnements des parcours professionnels qui faisaient pourtant la force et l’attractivité d’un groupe comme la SNCF. Êtes-vous bien conscient que dans beaucoup d'Établissements et de Directions s’organise lentement mais sûrement une culture de déresponsabilisation et de démotivation à tous les étages ? Quand personne n’est plus responsable de rien et que ce sont des process digitaux qui gouvernent la production ferroviaire, c’est oublier que seul le contact humain, au plus près des problématiques rencontrées, permet de réguler et résoudre les crises opérationnelles.

Car on ne négocie pas avec l'informatique.

Quand un ordinateur applique un modèle, il n’y a pas de négociation possible. Tant que nous sommes dans une relation humaine, la définition du réel est négociable, transformable, adaptable, bref les solutions sont possibles. Quand on est devant un ordinateur en permanence, la définition même du réel change…

Or, si l’on éloigne les managers de proximité de leurs équipes, si on laisse l’ordinateur gouverner la décision, alors on organise ce qu’un ancien dirigeant de SNCF rappelait dans une formule dont il avait le secret : « sans responsabilisation véritable des managers, c’est l’organisation du « bracassage » en toute impunité » !

Là où le transport guidé avec un seul degré de liberté devrait être pourtant l’organisation par excellence, là où les synergies Transporteur-Exploitation-Maintenance-Ingénierie doivent absolument exprimer leur pleine mesure pour servir l’offre de mobilité au client, nous constatons que des intérêts parfois divergents entre services laissent la place aux égoïsmes et à un management par objectifs mal compris.

Tous ces plans et projets (notamment les plus emblématiques que sont FGA, ZBO...) vont renchérir ce phénomène et donner lieu à la fixation d’objectifs inatteignables, à des indicateurs quantitatifs de performance mesurant de manière insatisfaisante le travail réel ou encore à des obligations chronophages et inutiles de reporting.

Mais ils n’en sont pas moins présentés par les cabinets de consultants de SNCF comme neutres, objectifs et nécessaires. Ce qui permet à certains dirigeants de s’innocenter avec grande désinvolture et irresponsabilité, alors que les conséquences pour les salariés peuvent être dramatiques.

Les restructurations organisationnelles sont de plus, et que vous le vouliez ou non, incessantes à la SNCF depuis 2002.

Pas une seule année passée sans changement d’équipes, d'unités, d’établissements, d’orientations stratégiques de conquête ou de réduction des dépenses…

Le caractère continu des réorganisations amène à créer des structures de travail et des règles de gestion provisoires et expérimentales.

Ainsi, le changement devient la norme, la stabilité, et le travail se complexifie, créant un millefeuille organisationnel qui contribue à accumuler les procédures et les flux d’informations.

Les transformations organisationnelles sont aussi très concrètes lorsque les projets impactent directement les modes opératoires, les logiciels, les mises à jour des bases de données ou les changements de périmètre de tâches, voire de statut.

Les agents sont ainsi exposés à une inquiétude légitime face à l’avenir : comment vais-je me repositionner dans l’organisation ? Vais-je pouvoir assumer mon nouveau périmètre de tâches ? L’accompagnement proposé, en termes de formation ou d’encadrement, sera-t-il à la hauteur de mes attentes ? Les agents sont soumis à une insécurité de la situation de travail qui est, ici, moins socioéconomique (peur du déclassement, de la perte d’emploi) que provoquée par le changement non maîtrisé des tâches et des conditions de travail.

Pour l’UNSA-Ferroviaire, la poursuite d’objectifs de réorganisations uniquement motivés par la rentabilité financière est, non seulement, source de souffrance au travail mais aussi, dans une approche complexe de la performance, facteur d’inefficacité. Ce sentiment est exacerbé chez SNCF Réseau, dont le but est d’atteindre le plus vite possible et “quoi qu’il en coûte” les objectifs financiers de l’autorité de tutelle.

Il vous appartient, Monsieur le Président, de répondre aussi à cette question dans votre projet « Tous SNCF » : « est-ce que la finalité du travail dans le cadre d’une entreprise, c'est d’abord un chiffre dans un bilan comptable ? Ou est-ce que mon action de Président est avant tout motivée par une finalité humaine? »

Car si votre action est animée par cette quête, vous vous devez d’aller plus loin et de reconnaître que la finalité de votre action doit être nécessairement de conférer un bien-être individuel et collectif à ceux qui vous accompagnent dans la création des richesses.

C’est cela la force du discours que nous attendons aujourd’hui. Mais ce discours-là doit être avant tout un discours politique, clair et structuré, avec un réel pilotage de votre part de la gouvernance vers les 5 sociétés anonymes du Groupe.

Nous vous rappelons pour terminer sur cet item, Monsieur le Président, que nous avions déjà dénoncé à maintes reprises ces nouvelles gouvernances mues uniquement par le besoin de rentabilité et nous en avions profité, dès lors, pour appréhender les nouvelles règles légales, en particulier celles contenues dans la loi Pacte de 2019, en vous proposant dès le mois de novembre 2020 de transformer le groupe en « société à mission ».

Il est dans l’ADN de l’UNSA de rechercher avant tout rapport de force le compromis social par la négociation.

Mais comment ne pas réagir de manière beaucoup moins consensuelle lorsque nous sommes traités avec ces vieux réflexes patronaux du monde d’avant ? Ceux de la défiance, de la suspicion, de la domination et du combat permanent ?

Comment ne pas y voir un « simulacre » de dialogue social ?

Est-ce ainsi que l’on traite un « partenaire social » dans un grand groupe public ? Est-ce conforme à l’esprit du législateur ?

N’est-ce pas finalement cette forme de dialogue social « confortable » que souhaitent les Directions des SA ? Des organisations syndicales peu responsabilisées, productrices de rapports de forces permanents et remplissant uniquement leurs obligations de présence aux instances paritaires ?

À l’UNSA-Ferroviaire, nous ne nous inscrirons jamais dans ce jeu de théâtre des apparences dans lequel pousse pourtant à s’inscrire l’histoire du syndicalisme français.

En effet, nous vivons actuellement un dialogue social particulièrement révélateur des profondes transformations engendrées par la réforme ferroviaire et de l’implosion qu’elle a provoquée dans le corps social cheminot.

Ainsi, d’un côté, nous faisons le constat de rencontres formelles et informelles avec nos élus au niveau central qui n’abordent en rien les sujets majeurs et les bouleversements que nous pouvons pressentir à la suite de la réforme ferroviaire et de la fixation des enjeux financiers par l’État.

D’un autre côté, nos élus locaux, nos collègues en établissements et en direction centrale, nous alertent sur les déclinaisons des objectifs des SA en termes d’emplois à supprimer, la méthode et l’accélération du calendrier prévu pour y arriver, les discours qui sont tenus aux managers, les changements profonds qu'induisent les projets d’avenir, les impacts qu’engendrent ces bouleversements sur les risques psycho sociaux et le désengagement de l’encadrement en manque de reconnaissance de leur « boîte ».

Il y a donc une espèce de jeu de dupes entre l’échelon national des discours policés et pleins de positivisme... et la réalité des agents sur le terrain qui vivent très mal le dialogue social tel qu’il est mené aujourd’hui ainsi que les errements et la manifestation des égoïsmes de certains managers en manque de reconnaissance.

Vous conviendrez alors que, malgré les apparences, nous ne pouvons qu’être suspicieux quant à vos intentions et à la place que vous nous accordez réellement, dans la construction d’un dialogue social de qualité pour la performance générale des SA, surtout lorsque c’est par voie de presse que sont confirmés parfois les projets du Groupe.

C’est par conséquent un grand paradoxe que nous relevons entre ce qui se dit sur la scène politique et médiatique et ce qui se vit ensuite concrètement dans le quotidien des salariés et leur relation au management.

Nous estimons que ce ne sont pas là, les bases d’un véritable dialogue social renouvelé fondé sur la co-responsabilité et la confiance mutuelle.

L’UNSA-Ferroviaire porte la parole de cheminots de l’encadrement de plus en plus nombreux, y compris des Cadres Supérieurs, dans tous les services et dans toutes les SA.

Vous ne pourrez pas engager ces multiples réformes sans avoir le soutien, l’appui et l’engagement de l’ensemble de votre encadrement.

C’est une donnée que, pour notre part, nous tenons comme une réelle force d’appui sédimentée par l’expérience de nos élus de terrain et la confiance des agents, particulièrement celle de l’encadrement.

En conclusion, Monsieur le Président, nous observons depuis quelques mois un climat social délétère partout sur le territoire, des salariés totalement démotivés par leurs perspectives d’évolutions, des jeunes qui hésitent à s’engager, des agents confirmés qui préfèrent rejoindre la concurrence, des cadres muets, des salariés tristes au travail, bref, une perte de sens généralisée mais qui était latente depuis des années.

Ce climat semble s’installer désormais quasiment partout, de manière très défavorable dans les Établissements et dans certaines directions par rapport aux conséquences humaines et sociales des projets de réorganisation.

Nous tâchons, quant à nous, de jouer notre rôle d’amortisseur social avec les moyens qui sont les nôtres, nous expliquons, nous conseillons, nous agissons.

Mais devant certains comportements, nous saurons prendre toutes nos responsabilités et agir en conséquence en mesurant le rapport de force s’il venait à s’établir dans les équipes.

Celui-ci risque, à la rentrée, d’être chimiquement très réactif aux potentielles annonces gouvernementales sur la reprise des réformes, notamment celle des régimes de retraite. Et vous savez très bien, dès lors, que nous ne pourrons plus éviter que la politique nationale s’installe dans des débats qui auraient dû rester purement ferroviaires.

Je crois qu’il est urgent de redonner de la fierté aux salariés de notre grand groupe, Monsieur le Président. Leur redonner le sens de ce qu’ils font pour le service du public, des clients, chargeurs ou voyageurs.

Car comme le disait naguère un excellent slogan interne, « nous faisons partie de la vie des gens ». Nous agissons pour aider et transformer le quotidien des Français et c’est peut-être cela qu’il faudrait de nouveau insuffler comme sens au travail de tous dans notre Groupe Public Unifié.

Recevez, Monsieur le Président, l’expression de ma considération la meilleure.

Didier MATHIS

Secrétaire Général

 

 

 

 
   

 

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