Lu dans La Dépêche, l'édito de Philippe Rioux : Un train d’avance
La prophétie de Louis Armand
Il y a entre les Français et le train une très longue histoire. Des cheminots-résistants magnifiés par le film de René Clément "La bataille du rail" aux ingénieurs qui inventèrent le TGV qui vient de fêter ses 40 ans ; des Micheline rouges qui reliaient les préfectures de province aux trains de nuit Corail qui sillonnaient le pays vers la capitale ; des TER qui convoient tous les jours en régions étudiants et travailleurs aux RER franciliens qui irriguent le Grand Paris, chaque Français a, d’évidence, une histoire personnelle avec le train. Une histoire où se mêle la passion des mécaniques et des voyages pour les uns, l’agacement aussi face aux retards et dysfonctionnements de la SNCF pour les autres, la colère au goût de grève parfois et la fierté sans faille toujours des femmes et des hommes qui font rouler les trains.
À l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de CO2 impose de revoir nos modes de transports ou d’en imaginer d’autres, à l’heure où la baisse historique du trafic aérien en raison de l’épidémie de Covid-19 nous invite à revoir nos choix de moyens de déplacement, à l’heure où le maillage des territoires n’a jamais été autant une demande des populations, il n’est pas étonnant que le projet de Railcoop ait rencontré le succès. Profitant de la fin du monopole de la SNCF sur le transport intérieur de voyageurs et l’ouverture à la concurrence, la jeune société coopérative lotoise va pouvoir mener d’ici quelques mois des projets d’ouverture de nouvelles lignes. Des lignes comme des chemins de traverses, des itinéraires délaissés par la SNCF mais qui trouvent une pertinence auprès des populations des territoires concernés où se battent parfois depuis des années des collectifs pour conserver leur ligne ou leurs gares.
Si le projet de Railcoop est novateur, il participe aussi à un mouvement plus puissant en faveur du train. En Occitanie, deuxième région la plus vaste de France, on mise depuis longtemps sur le rail comme élément d’aménagement du territoire. Du plan rail de Martin Malvy aux Etats généraux du rail de Carole Delga, la volonté politique de la Région a toujours été présente. La récente décision de la Région d’expérimenter en avril prochain la gratuité des TER pour les jeunes en est l’illustration, tout comme la volonté d’une majorité d’élus de la région de parvenir enfin à raccrocher l’Occitanie au réseau TGV avec les lignes à grande vitesse Toulouse-Bordeaux et Montpellier-Perpignan.
Enfin, n’oublions pas le retour des trains de nuit en France dont il ne restait que deux lignes et leur développement aussi fulgurant qu’étonnant en Europe avec le projet NightJet, et tous les projets de trains à très grande vitesse comme l’Hyperloop.
Tout ceci montre que le train, qui fut un élément majeur de la révolution industrielle au XIXe siècle, n’a pas dit son dernier mot et pourrait bien redevenir un atout dans le transport du XXIe siècle.
Cette conclusion est dans l'esprit des paroles de Louis Armand :
“Le train sera le mode de transport du XXIe siècle, s’il survit au XXe siècle.”
Mais qui connaît encore ce grand visionnaire ?
Figure emblématique du réseau Résistance-Fer, Louis Armand devient directeur général de la SNCF en 1949 puis président en 1955. Il lance l’électrification des lignes du Nord et de l’Est en adoptant le nouveau système de courant monophasé de fréquence industrielle (25 000 V, 50 Hz). SNCF bat un nouveau record du monde de vitesse à 331 km/h. C’est aussi l’époque du lancement du service Trans Europe Express et de la suppression de la 3e classe.
Il fut élu à l'Académie Française en 1963.
Extrait du discours de réception prononcé par Jean ROSTAND :
Permettez-moi, Monsieur, de saluer à travers vous, premier cheminot de France, tous vos obscurs et anonymes compagnons de lutte. Vous n'admettriez pas, j'en suis sûr, d'être séparé d'eux, et j'ai en mémoire certains vers d'Edmond Rostand sur :
...la foule humble et noire
Qu'il faut pour composer une page d'histoire.
Ces cheminots, vous leur avez, à maintes reprises, rendu hommage. Vous avez loué leurs vertus dans la paix comme dans la guerre, vanté leur conscience professionnelle, leur zèle pour le bien public, leur ponctualité, leur soumission au juste despotisme de l'horloge, leur sens émouvant de la solidarité et de l'entraide. Avoir vécu et œuvré longuement à leurs côtés, avoir partagé avec eux l'effort et le danger, a marqué fortement votre tempérament d'homme d'action et aidé au généreux épanouissement de votre éthique sociale.
Tandis que dans votre cachot une mort prochaine semblait être votre seul avenir, vous réfléchissiez vaillamment sur les problèmes de votre métier.
« Mon moral a tenu - avez-vous dit - parce que j'ai échafaudé alors ce qui devait être plus tard le système de traction électrique en courant monophasé cinquante périodes. »
Voilà des termes un peu rébarbatifs et auxquels notre coupole n'est guère accoutumée... Je n'aurai garde de m'essayer à les traduire. Qu'il me suffise d'admirer que des méditations d'un prisonnier stoïque soit sortie une rénovation complète de notre système ferroviaire. Elles devaient conduire en effet à l'institution des méthodes qui permettraient d'utiliser directement le courant industriel dans l'électrification des chemins de fer. Pour décider d'une transformation si hardie et de si vaste conséquence, vos seuls talents d'inventeur n'eussent point suffi ; il y avait aussi, pour vaincre le scepticisme des experts et secouer la nonchalance des routiniers, votre enthousiasme militant, votre opiniâtreté, votre force de persuasion.
A ce progrès fondamental vous en ajouterez bien d'autres où l'électronique aura sa part, et qui intéressent la célérité des transports, la formation des itinéraires, la sécurité des voyageurs. Sous votre énergique et savante direction l'industrie ferroviaire de notre pays va primer dans la compétition internationale. Grâce à vous on verra courir des trains français qui seront les plus vites du monde ; en 1955, on applaudira aux exploits de la fameuse B.B. 9004, qui couvre plus de trois cents kilomètres à l'heure... Car n'oublions pas que cette double initiale fut d'abord illustrée par une belle locomotive.
Ça nous change des vendeurs de boissons gazeuses qui dirigent aujourd'hui l'entreprise ferroviaire sous l'autorité de responsables politiques ne disposant d'aucune connaissance de l'outil industriel ...