Le compte est bon ?
CE QUE CACHENT LES COMPTES DE LA SNCF
(article paru dans l'hebdomadaire Marianne du 11 mai 2018)
Officiellement, l’endettement de SNCF Réseau se monte à 47 milliards d’euros. Sauf que, les initiés le savent, il y a aussi les engagements hors bilan pris par la SNCF, le plus souvent sur injonction de l’État, qui peuvent nourrir aussi une "dette grise". Exemple avec la LGV Tours-Bordeaux. Cette ligne a beau avoir été construite à la demande de l’État, en partenariat public-privé avec la société Lisea (dont les actionnaires sont Vinci, la Caisse des dépôts, Meridiam et des fonds gérés par Axa), SNCF Réseau garantit auprès de la CDC les emprunts accordés à Lisea à hauteur... de 752 millions d’euros ! Un curieux montage qui fait du service public le dindon de la farce, puisque la SNCF doit faire circuler sur cette voie plus de TGV que nécessaire dans le seul but que Lisea perçoive les péages minima qui lui ont été promis. Ce qui, sauf miracle, pèsera sur ses recettes d’exploitation. Dans le Sud-Est, une trentaine de TGV passant chaque jour à proximité de Nîmes-Montpellier auraient dû emprunter une boucle de contournement qui a nécessité 400 millions d’euros d’investissements. Les élus locaux ayant réclamé le maintien d’un arrêt en centre-ville, ces rames seront bien moins nombreuses à prendre cette boucle. En contrepartie, les pouvoirs publics et les collectivités locales, qui mettent la SNCF dans une telle panade, versent-ils scrupuleusement les subventions qu’ils lui ont accordées ? Que nenni. Au 31 décembre dernier, la SNCF courait encore après le milliard d’euros d’engagements échus : 336 millions auprès des collectivités territoriales, 185 millions d’euros auprès de l’AFlTF, l'Agence de financement des infrastructures de transport en France. Mais les comptes du groupe public soulèvent d’autres questionnements. Fin 2017, ils indiquaient 17,996 milliards d’engagements donnés pour seulement 13,382 milliards reçus. Soit un différentiel de 4,61 milliards d’euros. Si les 824 millions d’euros donnés en caution de prêts accordés à ses personnels n’inquiètent pas, il n’en va pas de même pour les engagements liés aux activités opérationnelles de la SNCF. Ils traduisent la surestimation de péages et la fâcheuse tendance des gouvernements successifs à tordre le bras du service public pour soutenir d’autres activités. Ainsi, les 15 rames TGV 3UFC commandés en 2016 à Alsthom pèsent 416 millions d’euros d’engagements hors bilan. Plus navrant encore, le discutable projet Charles-de-Gaulles Express (liaison gare de l’Est-aéroport CDG) : l’État a en effet contraint SNCF Réseau à déroger à la règle d’or qu’il venait de lui fixer, soit l’interdiction de participer aux développements de nouveaux projets aussi longtemps que sa dette financière excédera 18 fois sa marge opérationnelle... La SNCF devra donc financer cette liaison, d’un coût estimé entre 1,4 et 2 milliards d’euros en partenariat avec ADP. SNCF Réseau est également mis à contribution pour financer le prolongement de la ligne E du RER de la gare Haussmann-Saint-Lazare à Nanterre-La Folie. Officiellement, de 256 millions d’euros en investissement. Mais sur décision de l’État, le réseau joue aussi... les banquiers du projet, en lui avançant sur dix ans jusqu’à 805 millions d’euros de trésorerie, tâche pour laquelle il sera rémunéré au taux de 1,5 % (les frais de portage étant tout de même couverts par l’État). Un citoyen averti en vaut deux !!!