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LA VOIX DE NOSTERPACA

On y va pour gagner !

23 Juillet 2021 , Rédigé par La voix de NOSTERPACA

Comprendre pour agir, c'est une formulation pédagogique assez classique que NOSTERPACA s'applique en publiant cet article lu dans Mobilettre. A quelques semaines de l'affichage du résultat des  choix retenus par le Conseil régional pour l'exploitation des lignes TER , il n'est pas inutile de mieux percevoir les objectifs visés par les entreprises candidates.

Thierry Mallet PDG de TRANSDEV plaide pour un dépassement des frontières du transport public : il faut aller chercher les passagers potentiels là où ils se trouvent, massivement et le plus vite possible ! Dans un entretien accordé à Gilles Dansart, rédacteur en chef de Mobilettre, il explique la nouvelle orientation de son groupe, axée sur la recherche d'une meilleure profitabilité :

Dans quelques semaines deux résultats d’appels d’offres importants pour Transdev vont tomber : les transports urbains de Bordeaux et la ligne ferroviaire littorale de la région Sud. «On y va évidemment pour gagner», se contente de commenter Thierry Mallet, qui n’oublie pas de mettre en garde contre les manœuvres et astuces du groupe SNCF, dont il vient d’apprendre la victoire à Agen. Mais au-delà de ces péripéties, c’est une nouvelle stratégie de différenciation que le PDG de Transdev a voulu expliquer. Un siège qui va continuer à perdre de ses effectifs dans les mois qui viennent car la politique est radicale : plus de responsabilité au terrain et aux patrons de réseaux, moins de services centraux qui n’apportaient pas toujours de plus-value aux activités.

Mobilettre. Comment va Transdev ?

Thierry Mallet. La première année de crise sanitaire – 2020 – a été compliquée et on a réussi à en limiter l’impact, même si les chiffres restent colossaux, avec 109 millions d’euros de pertes nettes. Pour 2021, mon objectif est d’être à l’équilibre à la fin de l’année. Cela va dépendre en grande partie de la France, car je n’ai pas de visibilité sur les systèmes d’aides mis en place. En Allemagne je sais exactement comment les pertes de recettes vont être compensées, aux Pays-Bas on discute même déjà de 2022.

La France est le pays qui vous inquiète le plus ?

T. M. Le mot est un peu trop fort, disons qu’il y a encore beaucoup d’incertitudes, y compris cet été en matière d’activités touristiques, très importantes pour nos marges car il s’agit souvent de réutilisation. Sur nos activités européennes seul le Portugal fait pire que la France en matière de prise en charge des pertes de recettes, mais nous n’y faisons que 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il reste que la France est le pays où on se pose le plus de questions, à beaucoup de niveaux. Et je regrette que les transports publics n’aient pas été suffisamment mis en avant dans les différents plans de relance. On a l’impression qu’on résoudra le problème de la transition énergétique avec des voitures électriques…

Qu’est-ce que la crise sanitaire et ses conséquences vous ont enseigné ?

T. M. L’important c’est le terrain. Les vrais centres de décision et de crise n’ont jamais été à Paris ou à Berlin, mais au plus proche des contrats, des élus, des équipes. Le vrai rôle des sièges était de faire passer l’information, de partager les pratiques, en matière de protection et d’initiatives, mais pas de donner des ordres.

Cela explique la redéfinition du rôle de votre siège dans le fonctionnement de l’entreprise?

T. M. On a commencé à le réduire, à le redéfinir, et on va continuer. Dans la vie courante il s’agit d’en faire un support des opérations. On y définit la stratégie globale, on maîtrise les savoir-faire clés, comme la stratégie énergétique. Et on travaille sur les ressources rares, qui sont au nombre de deux dans nos métiers : les talents et la finance.

Concrètement cela se traduit par un tiers des effectifs en moins, avec une accélération des départs en cette fin d’année. Certaines personnes sont parties spontanément, d’autres sont accompagnées. Mais l’exercice sera similaire dans chaque pays, où la tête devra redéfinir une organisation spécifique. En France on renforce le rôle des régions qui supervisent désormais aussi les réseaux urbains, notamment parce que l’enjeu majeur est de s‘assurer de leur cohérence avec leur environnement.

Les directeurs de réseaux se plaignent souvent que les sièges leur font perdre davantage de temps qu’en gagner…

T. M. On leur dit désormais : vous êtes plus autonomes mais vous êtes aussi plus responsables. Et cela suppose que vous soyiez plus transparent et collaboratif.

Une deuxième leçon de la crise ?

T. M. La sélectivité. La crise nous pousse à mieux choisir nos contrats et nos clients. Premier critère : que les collectivités locales soient alignées sur notre raison d’être.

Vous pourriez tourner le dos à une collectivité ?

T. M. Si une collectivité n’a pas envie de développer ses transports urbains, on n’a pas grand-chose à y faire. Le deuxième critère, c’est la création de valeur, dans notre capacité à apporter quelque chose de différenciant, des solutions innovantes pour les passagers, mais aussi pour notre propre compte. Notre objectif c’est aussi de retrouver une rentabilité normative raisonnable, pour continuer à investir et parce que nos actionnaires nous le demandent.

Comment sait-on vraiment le degré de profitabilité avant la compétition elle-même ?

T. M. Nous avons procédé à une analyse de tous les pays stratégiques. La rentabilité vient de trois facteurs: des clients qui ont des moyens et qui sont prêts à investir, un cadre contractuel qui donne de la valeur (ne pas être simplement tractionnaire, par exemple), et des concurrents raisonnables. Je pointe du doigt les monopoles qui sont prêts à faire n’importe quoi pour garder leurs contrats, ou les filiales de monopoles qui usent d’astuces, comme faire rajouter un TGV, rénover la gare, ou baisser les prix au-delà du raisonnable.

Tout le monde a envie officiellement de faire de la marge…

T. M. Oui, mais dans la vraie vie des contrats, certains cherchent la marge beaucoup moins que d’autres. Nous allons quant à nous continuer à être très sélectifs, après avoir défini des critères qui amènent à des niveaux de rentabilité attendue. C’est ensuite très facile à piloter.

L’élément de pilotage, désormais, c’est la ligne du bas de vos comptes.

T. M. Effectivement, nous serons très exigeants sur le pilotage financier des contrats. Nous demandons à nos directeurs de réfléchir en marge nette, ils connaîtront leurs contributions au groupe après les frais de siège et les impôts, et pourront se comparer les uns les autres. Vinci et Bouygues pilotent ainsi, cela marche très bien. On discute de la ligne du bas, la seule qui compte, celle du résultat net pour vérifier la vraie création de valeur.

La sélectivité, ce n’est pas si nouveau, vous avez déjà renoncé à concourir à l’exploitation des lignes du Grand Paris Express.

T. M. C’est quoi la valeur ajoutée sur un contrat dans lequel tu n’as pas la maîtrise de l’infrastructure, où tu vas avoir plein de monopoles qui vont vouloir s’acheter des références ? Dans ce cas de figure deux de nos critères ne sont pas réunis… Il vaut mieux aller faire une ligne de métro à Sao Paulo, il y a plus de marge, de visibilité et de plaisir, que faire de la maintenance sur le Grand Paris Express. De la même façon que je préfère les DSP intelligentes de la Nouvelle-Aquitaine à des prestations de service sans ambition.

Les transports publics peuvent contribuer à la cohésion sociale et territoriale – c’est pourquoi je propose par exemple de redéployer des offres en périphérie -, et à la transition énergétique, aussi bien en matière d’émissions que dans la réduction des congestions. Cela fait partie de mon travail d’évangélisation. On a de très nombreuses solutions innovantes à mettre sur la table.

On comprend la cohérence intellectuelle et économique d’une telle ambition. Est-ce que ce n’est pas un piège pour un opérateur de transport public de mener de tels investissements, très conséquents, alors qu’il n’est pas du tout certain qu’ils seront amortis car on ne sait pas vraiment comment vont se comporter les usagers, les collectivités, et même l’Etat ?

T. M. Si on choisit bien ses clients on n’a pas de problèmes. On a investi dans 400 bus électriques en Colombie, à Bogota, et on a su à la fin que personne n’avait osé mettre sur la table autant d’argent. Si nous n’avions pas travaillé au préalable sur le zéro émission, nous aurions eu peur d’investir autant, des centaines de millions d’euros. Je préfère mettre du cash dans un pays où nous nous sommes bien développés, où nous avons des relations de confiance avec les autorités. Ce n’était pas facile comme pari, de penser que la Colombie devancerait la Californie sur ce sujet du zéro émission.

Bogota a signé avec vous sur quinze ans, pour vous permettre d’amortir vos investissements. C’est un modèle moins restrictif que nos courtes DSP.

T. M. Il y avait effectivement un enjeu de valeur résiduelle des bus électriques. Que vaudront-ils dans dix ou quinze ans ? Nous entrons dans une période aux données économiques et techniques plus incertaines.

C’est aussi une période plus risquée pour vous, y compris parce que la crise a détourné de nombreux clients du transport public.

T. M. Le premier gain environnemental, avant de verdir nos flottes, c’est de re-remplir le transport public, et donc souvent des bus diesels. Si les comportements changent, à cause du télétravail par exemple, on modifiera nos offres. Mais il faut qu’on passe la crise. A moyen terme on aura plus de clients qu’avant, j’en suis persuadé. Pas forcément les mêmes aux mêmes endroits. Regardez le succès de notre ligne de bus entre Créon et Bordeaux, les gens sont ravis de ne plus prendre leur voiture au quotidien. A la clé d’une telle desserte au quart d’heure, il y a un double gain : pouvoir d’achat et performance environnementale. Si on a le même courage politique pour créer des lignes de bus protégées en banlieue que des coronapistes en centre-ville, tout le monde y gagnera.

On tourne beaucoup en ce moment autour de la nouvelle acceptabilité post-crise du transport public : pas trop bondé, propre, régulier…

T. M. Si la qualité de transport est un peu meilleure en heures de pointe, tant mieux ! Car il ne faut pas se tromper, on prend le transport public pour deux raisons : l’efficacité en matière de temps de parcours, nécessairement compétitif par rapport à la voiture (une durée de trajet de 150% maximum), et le confort, qui influe sur la perception du temps.

Il n’y a pas de demande majeure des usagers de baisse des tarifs. A l’inverse, offrir du temps et du confort, cela peut se valoriser.

La qualité de service ne se décrète pas, encore faut-il la délivrer partout, tous les jours…

T. M. C’est vrai, l’efficacité opérationnelle est un axe majeur de notre politique, comme l’est le dialogue social – je note d’ailleurs que nous avons moins de conflits que Keolis. Nous avons ainsi signé de nouveaux accords d’organisation du travail en Ile-de-France, comme nous cherchons à recruter en permanence des hommes et des femmes de qualité (NDLR Susan Sweatt, ancienne dirigeante de Fedex, vient d’être recrutée comme directrice des opérations aux Etats-Unis).

La croissance à tout prix, dans le nouveau contexte que nous connaissons, c’est bel et bien fini?

T. M. Je confirme: je n’ai pas d’objectif de croissance du chiffre d’affaires, mais j’ai des objectifs de croissance de la bottom line. Brian Sutter a dit à propos des groupes français : «Ils sont trop souvent des empereurs» – alors qu’ils devraient être des entrepreneurs. Faut-il être le plus grand ou le plus profitable ?

Si vous quittez certains pays, vous en convoitez d’autres ?

T. M. Le Brésil, par exemple, mais avec beaucoup de prudence.

Quelle perspective sur l’Ile-de-France, qui comptait beaucoup à la fois pour le chiffre d’affaires et la profitabilité de Transdev ?

T. M. Paris et l’Ile-de-France ne sont pas un totem. On s’intéressera a priori à tous les appels d’offres, les bus comme Transilien, mais on pourra décider à la lecture des cahiers de charges de ne pas aller sur certains.

Si la répartition des tâches entre gestionnaires d’infrastructures (SNCF Réseau et Gares & Connexions) et opérateurs ne vous satisfait pas sur les lignes de Transilien, vous n’irez pas ?

T. M. Ce sont des appels d’offres compliqués et qui coûtent cher. On n’ira pas systématiquement sur tous. Si les collectivités veulent de la concurrence, elles se doivent d’être attractives.

Si l’on prend les choses autrement, lorsque que vous décidez d’aller sur un appel d’offres, quels sont les facteurs de différenciation de Transdev, au-delà de la capacité à proposer un prix optimal ? Quelle est l’identité de Transdev aujourd’hui ?

T. M. Par rapport à Keolis ou à la RATP, nous avons trois caractéristiques : nous sommes plus décentralisés, on fait du dialogue social local une priorité, et on compte bien garder notre avance sur la transition énergétique. Notre approche est systémique : on bâtit des projets en collaboration avec les territoires. Et l’humilité fait partie de nos marques.

On avait pris le tournant de la transition énergétique avant tout le monde, à la force du poignet, avec nos propres investissements. Je suis donc parfois choqué par la communication de la RATP. Elle fait comme si elle faisait tout, alors qu’IDFM en fait tellement…

Le véhicule autonome, ce n’est plus une priorité ?

T. M. Cela reste un élément important de notre stratégie, nous sommes en vigilance mais nos clients n’ont pas de demande à court terme. Il faut être réaliste, on ne pourra pas tout faire tout seul, même les constructeurs automobiles se concentrent plutôt sur la transition énergétique.

Le Maas ?

T. M. Les collectivités locales souhaitent de plus en plus le déconnecter du transport public. Notre solution n’est pas de couvrir la terre entière, ni de concurrencer Google, c’est de permettre à ces collectivités locales de concurrencer Google ou toute autre plate-forme. Nous leur disons: «Vous pouvez concurrencer les Gafa grâce à des solutions locales et collaboratives».

Transdev est plus que jamais intégrateur plutôt que créateur ?

T. M. La technologie ce n’est pas pour nous! C’est bien d’amener des briques, d’accompagner les créateurs, mais les développer nous-mêmes, est-ce essentiel ? Notre métier c’est celui d’intégrateur. Pour réussir dans le véhicule autonome, il faut que ce soit une obsession. Et ça ne peut pas être la nôtre.

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